DIS and that
Rencontre du jour avec l’équipe virtuelle. Bienvenue à tous.
Ce qui suit est une « confrontation/comparaison » entre DIS magazine et des tendances récentes en marketing, c’est-à-dire le passage du format de la vieille campagne : push, au format de la nouvelle plateforme : pull. Pour établir cette analogie nous avons puisé des idées dans l’intervention « The Shape of Things to Come » du web évangéliste, développeur en création sur Google, Jeremy Tai Abbett. Les slides sont disponibles sur : http://www.slideshare.net/jeremytai/the-shape-of-things-to-come-47924172.
Mikael Brkic : DIS se décrit comme une plateforme de médias numériques. Ses projets en ligne et hors ligne examinent l’art, la mode, la musique et la culture, créant et encourageant de nouvelles pratiques de création.
Même si DIS n’est pas une entreprise avec un départment marketing, il y a quelques bonnes raisons (drôles aussi) de comparer DIS au monde de l’entreprise et dans ce cas spécifiquement au marketing. Depuis sa création, DIS a joué avec l’image de l’entreprise. Une de ses premières productions comprend la série Hooper Place, diffusée sur YouTube, qui montrait un ensemble du casting travaillant principalement pour DIS magazine, un conglomérat de médias « dans la cour des grands », où les riches et les puissants se donnaient des gifles dans les salles de réunion et lors de rencontres houleuses sur Skype. L’esthétique y était clairement Do It Yourself, avec des écrans verts en toile de fond et un style de jeu ‘camp’ exagéré.
MB : Est-ce que l’un d’entre vous avait l’expérience du travail en entreprise à l’époque où vous avez réalisé Hooper Place ? On dirait vraiment que vous l’avez truffé de nombreuses références qui vous sont propres.
DIS : La formation de DIS a été liée à la crise économique de 2008. On avait tous travaillé, pour une boîte ou en freelance, dans le secteur créatif commercial, en publicité pour des produits de beauté, à la direction de magazines commerciaux, à la conception d’une banque d’images pour Apple, des catalogues Neiman Marcus, etc. Mais tout ce genre de travail avait périclité en 2009, il n’y avait plus de subventions, le groupe Neiman Marcus par exemple est reparti pour Dallas.
MB : Pensez-vous que l’esthétique de l’entreprise est pertinente pour la majorité de votre audience ?
DIS : Je ne sais pas si elle est pertinente. C’est plutôt la projection d’un fantasme de pouvoir et de travail, un genre de « centre-ville » pour entreprises miteuses dans un monde 9–17[1]. Même si on a bricolé là-dedans, on était des outsiders, et on avait toujours une perception hyperbolique ou imaginaire des tours de bureaux. C’était particulièrement orienté sur New York, par exemple sur le genre de jobs que les gens créatifs dans le domaine de l’entreprise inventent pour eux-mêmes, i.e. « Brand Angel », « Fashion Evangelist », « Creative Consultant », « Curator of Ebay ». Et le matériau visuel, étrange, arbitraire, souvent dénué de fonction qui était produit, était basé sur des années de structure bureaucratique et hiérarchique.
MB : Les débuts de l’infrastructure de la technologie numérique ont apporté des changements dans la politique publique mondiale, dans la manière dont on communique sur des plateformes, en groupes de plus en plus nombreux. DIS est un pionnier en instaurant une édition numérique en art, pour ne pas mentionner vos autres projets qui utilisent l’Internet comme une plateforme pour l’art. Qu’est-ce qui vous a amenés à concevoir DIS comme une plateforme et pour qui l’avez-vous fait ?
DIS : Quand DIS a été lancé en 2010, c’était une toute autre époque ; les magazines papier étaient encore les produits phares de l’information et de la culture. On sentait qu’il y avait une certaine hégémonie dans les publications culturelles et on a été influencés par des publications DIY des années 1990 comme STOP et Coagula. DIS a été conçu pour une approche à la fois critique et célébrative. On l’a vu aussi comme une plateforme pour la visibilité de notre réseau étendu et pour la communauté créatrice qui était en dehors du domaine, par exemple celle des magazines de mode gérés par la publicité ; cette positivité transparente sur papier glacé. On voulait avoir cet aspect glacé, mais avec de l’étrangeté et une approche critique bouillonnante sous-jacente. Par exemple, en surface il y a un éditorial qui montre une chaussure dans une chaussure, mais en réalité ce n’est pas du tout un éditorial sur les chaussures, si cela a un sens. Le site web se prête à une grande flexibilité et à l’à-peu-près en matière de création et d’édition, pas à la préciosité ni à la rigueur.
MB : Dans le nouveau « régime numérique » on est confronté à la notion de moi quantifié. Le moi est un produit, commercialisé consciemment par les selfies et bientôt les dronies (selfies pris par un drone), et très demandé, compte tenu de son détracteur « FOMO », « la peur de manquer quelque chose ». DIS publie régulièrement des contenus qui s’adressent à cette nouvelle situation sous une grande diversité de formes. Allez-vous prendre position en faveur de cette évolution, et est-ce que les selfies sont politiques selon vous ?
DIS : Quand DIS a commencé, Instagram n’existait pas encore ! Notre relation avec ce surplus d’images prenait juste forme, elle bouillonnait, et on a commencé à travailler avec ce détritus d’image comme référence. Par exemple la relation tendue entre la technologie et les produits lifestyle établie depuis les années 1980, au moment où des images hybrides se sont transformées en produits lifestyle qu’on pouvait acheter dans des catalogues comme sky-mall, « vu à la télé », ou sur des sites web obscurs. Cette idée de lifestyle a toujours été l’idée centrale pour nous, elle englobe tout d’une certaine façon ; c’est ultra ndividualiste mais, comme le SRI international l’a découvert dans les années 1980, l’individualité n’est pas infinie, elle peut être catégorisée, orientée commercialement, par la génération constante de créneaux et d’hyper spécificité.
Aujourd’hui, je pense que tout le monde est familiarisé avec le « générique authentique ». Ces vidéos qui compilent des milliers d’instagrams pour montrer la façon dont tout le monde prend les mêmes photos étaient étonnantes. Ces données visuelles sont réellement fascinantes et ont éveillé notre intérêt pour une banque d’images dans une autre direction. Le monde commercial de l’image n’a plus besoin de condenser la vie dans l’espace blanc d’un studio avec un éclairage tamisé, parce que tout le monde sur Instagram le fait pour lui. Prenez par exemple la campagne pour l’iPhone 6, issued’un crowdsourcing. Les selfies ne sont pas politiques mais ils sont topographiques.
MB : Dirais-tu que DIS a des lignes directrices éditoriales spécifiques pour le contenu que vous publiez sur la plateforme, que ce soit spécifique pour certains médias ou sur la plateforme toute entière ?
DIS : Pas vraiment. C’est plus un ressenti, et un dialogue avec les contributeurs. On n’a jamais écrit ni établi de directives formelles, ni d’instructions pour le contenu de DIS.
MB : L’évolution de l’adaptation montre que, pour obtenir 50 millions d’auditeurs, de spectateurs et/ou d’utilisateurs, il a fallu 40 ans à la radio, 10 ans à la télé, 3 ans à l’iPhone et six mois à YouTube. L’année dernière, l’accès à YouTube et à Instagram conjugués atteignait un chiffre de plus du double que celui des visites à Elle, Grazia, Vogue, Harper’s Bazar et InStyle combinés. Suivez-vous la trace de vos usagers ? Faites-vous le décompte de vos visites sur le site, etc. ?
DIS : Bien sûr, c’est facile de suivre la trace. Mais on n’a pas de pubs, on ne monétise pas du tout le site, alors ce n’est pas vraiment important pour nous. La fréquentation grimpe quand on dépose une tonne de contenu, et elle baisse quand on n’affiche pas grand-chose. Selon cette logique, on ne veut pas entrer dans un système où on produit ou on dépose du contenu pour alimenter la machine du trafic. Comme Rob Horning l’a écrit dans « Fear of Content[2] », « le contenu est devenu un genre spécifique de contenu ». Cependant, on aime jouer avec la relation entre le contenu comme accessible et l’art comme porteur de valeur. Inonder les images de Google était l’un de nos premiers objectifs. Le surplus nous a toujours plus intéressés que la valeur.
MB : Tandis que le numérique prend le dessus de plus en plus agressivement sur la presse écrite et les anciens médias classiques, le smartphone est devenu le site par excellence de sa consommation. La communication sur mobile a toujours été plus importante que la communication sur l’ordinateur de bureau. Comment DIS réagit-il au dogme du mobile avant tout ?
DIS : Ha ha ! Bon, nous avons créé le site « accessible aux mobiles » il y a quelques années. Je ne sais pas. Pour un site web ciblé sur Internet, ça risque d’être choquant si la structure de dismagazine.com n’est pas modifiée après avoir été lancée. Le smartphone c’est génial mais pas pour tout, du moins pas encore, de toute façon. On aime balancer simultanément de l’ultra basique, avec des pages qui sont si déjantées qu’elles crashent votre ordinateur. Ces expériences ne sont pas toujours activées.
MB : Pour revenir au monde de l’entreprise, le légendaire conseil en gestion Peter Drucker aurait dit un jour : « La culture mange la stratégie à son petit-déjeuner. » Et c’est une sorte de devise pour les entreprises qui investissent beaucoup dans le team-building et l’événementiel pour construire une culture d’entreprise. Comment DIS gère-t-il cela, stratégie versus culture ? Vous êtes amis et collègues, comment trouvez-vous un équilibre dans vos relations ?
DIS : Hum…est-ce que tu veux parler du genre de team-building que nous faisons ? As-tu connu l’époque où on a choisi une « équipe-slash-athlètes » pour participer à la compétition de la Spartan Race ? Il y a une vidéo. C’est une course d’obstacles internationale extrême, exténuante, avec des barbelés couverts de boue, des cercles de feu et des gladiateurs furieux sur votre trajet qui vous massacrent à coups de bâtons de pugilat. On va faire avec ça, comme exemple-type.
MB : Très bien. Une grande partie de la culture d’entreprise est conduite par un objectif. Dans ce cas, c’est un but défini de façon abstraite, pour stimuler le travail journalier des employés et lui donner du sens, quelque chose qui va au-delà du simple désir de faire plus d’argent. Parmi ces objectifs il y a :
L’objectif de Google :
Organiser l’information mondiale et la rendre accessible universellement.
L’objectif de NIKE :
Apporter de l’inspiration et de l’innovation à tous les athlètes* du monde.
(*) Si vous avez un corps vous êtes un athlète.
Est-ce que DIS a un objectif ? :-P Non, mais sérieusement, quel est votre positionnement face à ce genre d’approche ?
DIS : On a fait une campagne l’année dernière pour le hashtag #THINKSPIRATION. C’était plus basé sur des sentiments orientés vers un but ou des motivations personnelles mais ça marche ensemble. Nike a popularisé la moitié de ces « truismes » de #fitspiration.
On a des buts mais DIS n’est pas axé sur un objectif. Comme on l’a souvent dit, DIS n’est pas programmatique. Les objectifs changent aussi et se déplacent. Par exemple, être une plateforme pour une production créative, en apportant de la visibilité, est quelque chose sur lequel notre regard a beaucoup évolué aujourd’hui – étant donné la facilité élevée de la visibilité, ce qui nous a rendu plus intéressés par les idées structurelles, il ne s’agit plus seulement de la diffusion. Par exemple si l’Etat ne prend plus en charge le soutien des arts (ce qui est le cas aux USA et de plus en plus partout ailleurs), il y a donc la nécessité de développer des infrastructures indépendantes, ou un engagement particulier avec le secteur privé. DIS pourrait-il servir de conduit pour des fonds d’entreprise au bénéfice d’autres productions dans un esprit non-commercial ? On en est pas certains.
MB : DIS lance un défi à la diffusion traditionnelle de l’art et de la critique, et encourage de nouvelles pratiques. A quel degré voyez-vous DIS comme une force perturbatrice, est-ce que le magazine a réussi à changer le jeu en matière de publications artistiques et d’expositions ?
DIS : Pas sûr de pouvoir évaluer ça. Si tu penses à une perturbation dans le sens où il perturberait ou remplacerait des marchés existants, alors non, on ne pense pas que DIS ait provoqué un tel déchaînement. D’un autre côté, jusqu’à présent avec la Biennale de Berlin, nous n’avons pas pris part de manière formelle à aucun système artistique (ou de mode, de musique, etc.) en ce qui concerne le marché, la critique, etc. Ceci nous a permis une sorte de liberté et de naïveté, celle d’être essentiellement une entité indépendante, ne tenant pas compte des structures en place qu’on ne connaît vraiment pas. Ceci représente peut-être un défi en soi. C’est-à-dire, jusqu’à ce que DIS devienne une institution.
MB : De pousser (push) à tirer (pull), DIS a une puissante image de marque, qui avait des qualités pour attirer depuis le départ ; c’est-à-dire que vous ne faites pas de campagne dirigée vers l’extérieur pour attirer l’attention (push), mais que, au contraire, votre audience cherche DIS et est attirée vers lui (pull). Les gens veulent DIS ! Que dirais-tu des composants clés de la marque DIS, et de ce qui la rend si forte ?
DIS : La contribution de DIS a été plus un avant-goût, en suivant des perspectives mouvantes auxquelles les gens répondaient parce qu’ils avaient les mêmes pulsions et les mêmes sentiments, mais qu’ils n’avaient pas encore visualisées ou matérialisées. C’est souvent cette sensation non formulée, lorsqu’on identifie un comportement émergent, ou lorsqu’on visualise et qu’on élucide des dynamique socio/culturelles, qui fait la lumière sur quelque chose qui avait peut-être été négligé. Prenons le cas, par exemple, d’un sondage anthropologique sur le « string ». DIS lutte pour une certaine réceptivité au présent ; on peut ne pas l’expliquer, mais il est mâché, reconfiguré, puis recraché d’une manière que nous trouvons lumineuse sous une forme régurgitée et reconstitué.
MB : Merci.
[1] Organisation en journées de travail de 9h à 17h.
[2] Rob Horning, « Fear of Content », DIS magazine, mis en ligne le 2 mai 2016.