Préface
Le monde de l’art après s’être enthousiasmé pendant un certain temps pour les théories du réalisme spéculatif, et ceci au risque de malentendus parfois gênants, brandit depuis peu l’étendard théorique de l’Anthropocène. A priori, on ne pourrait être que suspicieux vis-à-vis d’un discours dont la première référence évoquée est Paul Crutzen, scientifique à l’origine de ce néologisme qui désigne la responsabilité humaine dans la détérioration accélérée de la planète Terre qui nous conduirait inéluctablement à la fin du monde.
Ces débats semblent néanmoins prendre des directions nettement différentes, voire parfois opposées politiquement, en se démarquant par les usages de termes comme Gaïa, écologie radicale, ou écosophie. Des mouvements issus d’Occupy Wall Street à New York ont repris ce même terme d’Anthropocène pour l’investir politiquement avec la pensée anarchiste, faisant fi du fait qu’il est aussi employé par les tenants du néolibéralisme avancé de la Silicon Valley. Il est vrai que dans une atmosphère encore marquée par le passage de l’ouragan Sandy, on pourrait presque considérer New York comme un nouveau laboratoire de transformations urbanistiques, écologiques et politiques. Il s’agit de repenser la place de l’homme dans un environnement radicalement altéré, cherchant à proposer des alternatives épistémologiques en rupture avec les paradigmes kantiens. Ainsi, le titre de ce numéro aurait pu être : Un état d’esprit anthropocénique : une ambiance new yorkaise versus une ambiance européenne. Néanmoins, même si celle de New York semble émaner d’une démarche plus politique, les discussions qui ont lieu actuellement en France prennent un nouveau tournant critique au sein d’un cercle de philosophes, d’anthropologues et de sociologues de l’Université de Nanterre et de l’EHESS. L’anthologie[1] de textes publiée au printemps dernier par Émilie Hache en apporte une preuve évidente.
La question posée dans ce numéro est de savoir comment les champs esthétiques et politiques peuvent converger vers ces questions d’écologie radicale et grâce à quels types de formes ou d’espaces ? Qu’il s’agisse de produire une critique des nouvelles tendances d’un life-style écologique, de dépeindre des formes filmiques de récits eschatologiques ou d’engager une réflexion sur une possible révolution épistémologique qui bouleverserait notre rapport au savoir, et qui affecterait notamment les modèles historiques, philosophiques et sociologiques, et par conséquent les conditions actuelles de production et de réception de l’art.
Tout à fait conscient de participer à notre tour à cette entreprise de remise en circulation d’un nouveau courant théorique dans le système de l’art, nous avons été témoins de la manière dont se rencontrent les modes de pensée activistes et artistiques, deux régimes parfois irréconciliables, mais qui ont en commun de chercher à penser un en-dehors, sans rester à l’extérieur.
- [1] Émilie Hache (éd.), De l’univers clos au monde infini, Bellevaux, Éditions Dehors, 2014. ↩