Préface
Ce numéro de May a été conçu autour d’une série de textes de trois femmes écrivains/artistes qui expriment, sous une forme d’essai bio-fictionnel, de manière nettement détachée des sujets artistiques, leurs conditions actuelles de vie, de pensée et de travail. Nous avons travaillé sur une période de six mois à New York, alors que les débats portant sur le mouvement #MeToo et sur l’appropriation culturelle devenaient de plus en plus intenses dans les communautés artistiques. Au lieu de confronter les dimensions moralistes et essentialistes des débats en cours, le numéro fut envisagé au départ comme une tentative d’ouvrir un espace d’écriture, de présenter des perspectives qui peuvent apporter une compréhension différente de la nouvelle forme de « guerre culturelle » dont nous faisons brutalement l’expérience dans le monde de l’art occidental.
C’est ainsi qu’un texte d’Elise Duryee-Browner évoque directement les paradoxes et les perversions de #MeToo et propose des interprétations alternatives. L’auteure a déjà publié un essai dans un numéro précédent de May débattant de l’impact de l’élection de Donald Trump sur la société libérale newyorkaise, où elle déconstruisait le clivage gauche/droite des sphères politiques en comparant ce dualisme aux activités latérales du cerveau humain. Dans ce numéro, Duryee-Browner réfléchit à sa propre situation en tant que jeune femme, en essayant de comprendre les femmes qui, en agissant comme les hommes pour en finir avec la domination masculine, ignorent en fin de compte ce qu’elles sont en train de détruire. Face aux intenses confrontations entre les hommes et les femmes, elle voit un problème dans la perte de capacité à légiférer – à faire des lois ou, selon la confession juive, à les interpréter – et plaide pour une révolution culturelle où « on ne retrouverait pas seulement les femme/les cultures non occidentales logées au cœur du pouvoir masculin / occidental » (pour reprendre ses termes).
Trois nouvelles de Cecilia Pavón apportent un aperçu lucide de sa vie d’écrivaine à Buenos Aires : le vernissage d’une célèbre artiste britannique, Trish ; la préparation de son salon où elle anime des ateliers d’écriture, et une fiction dystopique où un magasin H&M est soudainement inondé, alors qu’elle considère la relation entre les conventions d’habillement et de genre qui sont imposées aux femmes écrivaines, ou attendues d’elles. Même si le style des écrits de Pavon peut sembler enjoué, domestique et même frivole (« de la poésie domestique » comme le dit Chris Kraus), elle joue avec un mode qui semble mineur, utilisant la vie de tous les jours de façon à contourner l’appareil de la littérature provinciale institutionnalisée.
Enfin, s’interrogeant sur le remplacement de la créativité humaine par l’intelligence artificielle, Georgie Nettell propose des perspectives nouvelles pour préserver les conditions de création dans une société néolibérale « piratée ». Dans le contexte du Brexit, rappelant que le referendum fut manipulé par la Cambridge Analytica qui a fait une arme des programmes de données massives, Nettell réfléchit à la transformation progressive de la démocratie libérale en un système qui peut être piraté, comme la créativité humaine, comme un dispositif électronique.