Préface
Il s’agit du premier numéro « mode » de May. Ce genre est apparu dans les magazines d’art dans les années 1980 avec Ingrid Sischy, rédactrice en chef à Artforum, qui a hautement contribué à introduire les loisirs et la culture populaire – donc la mode – dans les pages du magazine, après une longue période dédiée à l’art conceptuel et sa théorie. Depuis lors la mode est devenue un sujet de réflexion, d’interaction entre le monde de l’art et son industrie éditoriale.
Il faut également souligner que les années 2000 ont été marquées par la collision de l’industrie de la mode et du monde de l’art. Les marques ont commencé à s’engager dans une coopération avec les artistes de manière plus ambitieuse. Au même moment, les maisons de couture indépendantes se sont vues absorbées progressivement par les groupes du luxe – comme ce fut le cas pour Margiela ou Helmut Lang – ou bien ont tout simplement disparu. Ceci a pu apparaître comme la fin d’une utopie de la bohème vue comme une expérience existentielle. Plus récemment, est apparue une nouvelle rhétorique dans la mode, relayée par la presse, avec les termes de « crise », de « burn-out » ou d’« accélérationisme », en raison des défilés de mode, des premières, des lancements de produits incessants et de l’impact des médias sociaux comme Instagram et sa communication visuelle instantanée. Le monde de la mode, ou son industrie, traverse maintenant une crise existentielle profonde après la sensation générale de burn-out des créateurs de mode, confrontés à l’accélérationnisme des leaders mondiaux de l’industrie du luxe. Les modes de production de l’art comme ceux de la mode sont de plus en plus façonnés par ces groupes (comme Kering ou LVMH, de plus en plus visibles à Paris). En réaction, on commence à observer récemment et notamment à New York l’apparition de jeunes labels de la mode indépendants qui proposent une vision de la mode plus politique, plus pointue, post-gender et expérimentale, comme le font à New York Gogo Graham ou Women’s History Museum, qui explorent un nouveau cadre pour la mode (online, dans des espaces artistiques, etc.).
Pour May, édité à Paris, capitale de la mode, ce n’était qu’une question de temps avant de se pencher sur ces questions, avec les nombreux changements récemment survenus au sein de la mode. Le point de départ a été donné par l’article de Cathy Horyn [1] au sujet du départ de Raf Simons de chez Dior, qui évoque l’impossibilité de conserver un haut niveau de créativité dans l’organisation actuelle de l’industrie de la mode. Dans une certaine mesure, paradoxalement, la mode est maintenant perçue davantage comme un champ de recherche et de réflexion qui a besoin de « retravailler » ses propres archives et documentations en vue de se comprendre finalement soi-même, d’initier sa propre critique. Ce numéro de May envisage de comprendre quels autres circuits, contenus, discours, modèles économiques et nouvelles esthétiques de mode seraient envisageables, en dehors des modèles des maisons de couture traditionnels. Nous nous intéresserons particulièrement à la manière dont tout ceci affecte le monde de l’art, à quel genre de conclusions parallèles, d’effets secondaires, d’impacts ceci a conduit et pourrait conduire dans un avenir proche.
- [1] Cathy Horyn, « More More More Dior », in System, nº 6, automne/hiver, 2015. ↩