Préface

— May

Ce sixième numéro de May s’articule autour d’un ensemble de textes consacrés à l’artiste Paul Thek (1933-1988) que nous publions à l’occasion de sa première rétrospective américaine au Whitney Museum à l’automne dernier, qui fait suite à la rétrospective qui, à l’initiative du ZKM,  avait circulé en Europe entre 2007 et 2009. L’enchaînement de ces deux expositions de grande envergure a réactivé le débat sur  les différences de réception que l’oeuvre de Thek a suscité, les malentendus et les “méprises” de tout ordre sur les logiques idéologiques, artistiques, sociales qui ont influencé sa carrière, et qui ont entretenu sans cesse le mythe d’un artiste culte, d’un « artist’s artist ».

L’ensemble s’appuie sur le débat lancé au début des années 1990, au moment de la redécouverte de son œuvre, pour envisager les conditions de sa réception et de la réactualisation de ses significations. L’essai de Paul Sztulman reprend la trajectoire de Thek pour souligner les incompréhensions qu’a suscité son travail, notamment quant à ses connotations spirituelles et religieuses : en insistant sur le rejet du symbolisme et de la transcendance sur lequel se fonde la doxa moderniste, Sztulman s’attache à reconsidérer une expérience existentielle radicale, parfois mystique, dont les œuvres ne sont qu’un moment, et dont le musée ne peut tout à fait rendre compte. L’importance, dans le cas de Thek, de dépasser le « piège de l’interprétation » de l’objet d’art est également au cœur d’un court texte de Marietta Franke, publié dans Texte zur Kunst au début des années 1990 en réponse au fameux essai de Mike Kelley « Death and Transfiguration », texte séminal qui continue de guider nombre d’analyses de la « contemporanéité » de Thek, et dont Franke conteste les biais, la subjectivité et le manque d’attention au contexte de travail de l’artiste. Enfin, l’artiste Antek Walczak revient sur le « Paul Thek » que l’institution fait revivre aujourd’hui, avant d’avancer la notion de povera/pauvreté, pour retenir, sur fond de dystopie culturelle, « l’anarchie professionnelle » de Thek et sa pertinence actuelle.

L’œuvre de Thek ne cesse d’être une source de malentendus et de difficultés pour l’historien comme pour l’interprète et on ne saurait oublier qu’elle constitue désormais un enjeu de pouvoir (un enjeu économique) autant que de savoir. Cependant, sa force se mesure aujourd’hui à sa capacité à susciter des questions de méthode, des remises à plat de canons esthétiques et d’outils théoriques établis, des propositions de « contre-histoires » de l’art. Ces trois textes poursuivent chacun un tel travail de négativité dans l’histoire de l’art, exercice périlleux, car comme le dit Marietta Franke « le piège que constitue l’effort d’évaluation est particulièrement dangereux quand ce qui manque, ou du moins n’est que difficilement perceptible, c’est un travail sur la problématique de l’histoire de l’art.»

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