Préface
Ce numéro constitue le premier d’une série de trois consacrés aux années 1990 en France.
Il porte sur la courte période que couvrent les années 1991 à 1995, ces quelques années où en France, il semblait possible de s’affranchir de pesantes tutelles intellectuelles et artistiques. Trouver une entrée en matière n’a pas été pas une mince affaire. Il a fallu pour cela contourner les îlots bien reconnus, que forment les expositions, les revues, les centres d’art, tellement symptomatiques de cette époque, éviter de rentrer dans les querelles des spécialistes de l’art contemporain, les histoires des groupes d’artistes et se prémunir contre les témoignages apologétiques.
Il s’agit en premier lieu, comme à notre habitude, d’interroger des documents de cette courte période pour comprendre la nôtre.
Notre fil conducteur est constitué de la lecture qui se fit à cette époque de Félix Guattari, et de celle qu’on en fait à présent. Que sont devenues les « Années d’hiver » des années 1980, comme les qualifiait ce dernier, en opposition « au printemps qui promettait d’être interminable des années 1960[1] » ? Qui s’y intéressait vraiment ? Cette référence est fortement présente dés le premier numéro du magazine Purple dont le thème est : Indian Summer ou le nom de l’exposition que la revue organise en 1993 : L’Hiver de l’amour. Mais c’est une contre-référence, où il est question de glaciation ou d’un été indien, en voie de disparition.
Et puis récemment, la préface de François Cusset à la réédition de l’ouvrage Les Années d’hiver est venue soudainement redonner une nouvelle interprétation enthousiaste de ces textes, qui se lisent, dit-il, « comme des anticipations vertigineuses de la nôtre – vertigineusement précise et vertigineusement intacte ». Car, pour Cusset, ces trois dernières décennies sont de même nature et la période mitterandienne a formé un formidable double bind pour les intellectuels français[2]. L’hiver s’est bel et bien éternisé et Guattari se retrouve bien seul. Même si dans les années 1990, des expériences de luttes collectives reposent sur ces mêmes principes d’agencement de subjectivités et de nouvelles territorialités, même si le développement d’Internet permet aussi le développement de « zones d’autonomie temporaires » et peut-être, de nouveaux agencements des subjectivités.
L’autre fil conducteur serait peut être de prendre une distance pour saisir ce que Paris représentait en terme de cliché et de valeur pour les artistes – ici, un artiste allemand, Martin Kippenberger – et comment les malentendus et l’inertie des institutions artistiques françaises ont marginalisé littéralement leur réception à l’époque. Nous verrons aussi comment les rapports œdipiens sont rejoués chez cet artiste de manière burlesque, pour mieux sapper leur essentialisme ainsi que celle des institutions.