Préface
Ce numéro a été conçu par Catherine Chevalier et Jay Chung dans le cadre d’un programme de résidence de revues d’art à la fondation Kadist à San Francisco en novembre 2011.
Alors que nous commencions à mettre en place ce numéro, il nous a été dit que l’un des principaux obstacles pour les artistes de San Francisco susceptibles d’atteindre un public international était le manque de supports média de la ville : Artforum était depuis longtemps parti à New York, et ses successeurs potentiels et autres alternatives avaient pratiquement tous disparu. La fondation Kadist, qui nous avait invités à participer à son programme de résidence réservé aux magazines, espérait positionner la ville au centre d’un réseau international en promouvant des échanges avec des institutions, des artistes et des écrivains locaux. May était, cependant, totalement inconnue à San Francisco, et il semblait paradoxal que la fondation l’ait choisie comme médiateur pour encourager la scène artistique locale à rejoindre le reste du monde.
« La cambrousse internationale est dans la tête, ce n’est pas seulement une notion géographique », déclarent les éditeurs de 4 Taxis dans une interview avec le rédacteur en chef de East of Borneo, Thomas Lawson (« Questions sur 4 Taxis »). En gardant à l’esprit l’approche de la fondation Kadist, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il serait bien d’examiner les stratégies et les économies culturelles qui se sont formées à partir de, ou en réponse à la représentation du lieu. May, dont le contenu s’est largement concentré sur la production culturelle à New York et en Europe, pourrait alors élargir son champ d’action, par une analyse critique autoréflexive.
Le « provincialisme » fut le premier mot qui nous vint à l’esprit, mais seulement en raison de la manière dont la question du lieu a été formulée dans le passé (voir l’essai « The Provincialism Problem » de Terry Smith [1974] et sa réévaluation dans ce numéro, « ll n’y a pas de solution au provincialisme », de Rex Butler et Andrew A.D.S. Donaldson). Comme Butler et Donaldson le font remarquer, la question n’a pas de réponse ; la difficulté n’est pas liée à celle du local, mais en premier lieu à sa formulation en tant que problème.
On pourrait dire la même chose de Pacific Standard Time, une enquête sur l’art de l’après-guerre à Los Angeles. Le programme présentait l’histoire de l’art de la région à une échelle sans précédent, proposant des expositions et des événements dans plus de soixante institutions officielles. Certains ont vu dans cet effort concerté une tentative pour promouvoir une capitale culturelle capable de rivaliser avec New York, une campagne de marketing onéreuse, mais discutable. Les véritables rivalités auxquelles Los Angeles se trouve confrontée, comme le montrent les articles d’Alex Kitnick (« Néon vernaculaire ») et de Kappy Mintie (« Déterrer le Campesino »), existent à l’intérieur même de ses frontières.
En contraste avec la rhétorique de Pacific Standard Time, le ton élégiaque de l’essai de Ken Okiishi reflète moins la familiarité d’un initié qu’il n’évoque une ville en déclin, chargée de sa propre mythologie en désagrégation. L’image de New York y gagne une dimension temporelle. On était en plein « Occupy Wall Street », et pour certains c’était un bon signe que le présent ressemble au passé. Avant un flash-back à un souvenir à moitié imaginaire des années 1990 qui annonce l’arrivée brutale d’un changement qui n’a rien à voir avec les banques, Okiishi dans son essai « La menace du provincial », rapporte timidement le sentiment qui est dans l’air : « New York ressemble à nouveau à New York. »