Préface
Second de la série sur les années 1990 en France, ce numéro de May avait pour ambitions initiales d’évoquer les débats en histoire et en théorie de l’art qui se seraient déroulés aux débuts des années 1990, pour en dégager un point de vue sur le contexte théorique de la production artistique d’alors. Il ne s’agissait pas de se lancer dans un bilan exhaustif mais plutôt, au risque d’en devenir aussi systématique, d’approcher ces questions en réserve et a minima.
C’est ainsi que ce numéro s’est d’abord construit autour d’un long entretien avec Jean-François Chevrier, historien de l’art spécialisé dans l’histoire de la photographie et professeur à l’École des beaux-arts de Paris. Dans le long texte de Paul Sztulman qui relate cette rencontre, on prend conscience de la manière insulaire avec laquelle il a construit son système de pensée, inspiré d’une approche structuraliste appliquée à l’histoire de l’art et centrée sur la notion d’expérience individuelle plutôt que sur celle d’analyse de l’œuvre. Jusqu’à la parution récente de ses écrits aux éditions de l’Arachnéen ces travaux sont restés relativement confidentiels et à l’écart des grands débats internationaux en histoire de l’art, des revues comme October ou Artforum, quand bien même il reposait les termes d’une pensée sur l’art à partir de concepts de la modernité où les régimes du politique et de l’artistique ne sont pas différenciés.
Le texte de Stefan Germer, publié en 1993, permet de changer de perspectives adoptant celle d’un historien de l’art allemand, cofondateur de la revue Texte zur Kunst, qui tente d’expliquer l’absence de dimension historiographique dans la théorie et la critique d’art d’un groupe de théoriciens de l’art de l’EHESS. Enfin, deux textes, le premier de John Rajchman sur l’histoire de la French Theory entre 1975-1976 et 1988, à New York, et le second de François Cusset, sur les nouveaux usages de la théorie critique depuis les années 1990, donnent la mesure de ce qui s’est passé en France à cette époque, et de ce qui a manqué en terme de théorie critique dans le champ de l’art. Pour mieux comprendre ces phénomènes d’import-export de théories, John Rachjman en appelle à une « pédagogie du contexte ».
Globalement, les années 1990 seront restées en France extrêmement peu réceptives aux débats théoriques des milieux artistiques outre-atlantiques et des pays germanophones. Et il semble que les principales influences théoriques de l’art contemporain proviennent alors du groupe de théoriciens de l’art de l’EHESS ou des nouvelles revues comme Documents sur l’art, Bloc notes et Purple, produisant des formes singulières d’écriture, résolument non académiques, en évoquant les nouveaux mouvements sub-culturels de la scène parisienne en musique, mode, design, ou architecture.
Cette période a aussi favorisé le développement d’un nouveau jargon, qu’il faudrait à présent dépasser en cherchant de nouveaux usages opératoires de la théorie (François Cusset).