Se débarrasser des passions tristes
Son apparence est toujours aussi pompeuse que sa musique l’était à l’époque. Avec cette énorme perruque blonde afro et les boutons de sa chemise qui imitent des pierres précieuses, il se présente toujours un peu comme une pop-star, mais son regard semble profondément trouble. Nous sommes en 2005, et la photo montre Phil Spector à son procès, lequel ne s’achèvera que des années plus tard, avec le verdict de sa condamnation pour meurtre. Le connaître de cette façon ne veut certainement pas dire l’aimer (“To Know Him Is To Love Him”, titre de son tube) ; et s’identifier à cet individu en tant que personnage public implique de s’identifier à quelqu’un qui affirme avoir toujours été son propre pire ennemi. Y a-t-il encore une empathie possible ou du moins une vision différente de celle du scandale monstrueusement médiatisé ?
Qu’est-ce que cette image – et son mode de représentation – dans l’œuvre de Bernadette Van-Huy nous dit sur la logique du star-system dans l’industrie de la mode et de la pop, sur les représentations de la juridiction et des médias, et finalement sur la politique de l’auto-représentation ? Et qu’en est-il des possibilités d’affirmation artistique de soi face à ces logiques ? Ni une position purement extérieure, ni une simple position interne ne semblent possible pour pouvoir parler des codes représentationnels et de leurs chevauchements entre les sphères structurelles, culturelles, sociales et personnelles. Ici la différence est décisive. Si la sortie dans le monde infini de pures possibilités semble grandement bloquée aujourd’hui, travailler sur les « clôtures et barrières » – selon les mots de Bernadette – semble crucial pour parler des mécanismes de défense des « passions tristes » dans chaque sphère.
Dans le travail présenté ici nous voyons plusieurs strates de représentation. Tout d’abord, il y a la représentation de la mode, qui agit par mimétisme, identification et voyeurisme, ensuite le mode de représentation de l’art, qui peut être reconnu sous diverses formes : performance, photographie, dessin et conceptualisme. En essayant d’imiter cette « parade de perruques » que l’homme a exhibée à son procès, Bernadette représente, documente et retravaille graphiquement sa propre identité de victime de la mode, des médias et des fandoms. Les dessins ne font pas qu’imiter les perruques bouclées et s’en écarter ; en écrasant gestuellement les photographies, ils témoignent aussi de l’acte d’identification lui-même. Ce faisant, un troisième mode de représentation apparaît, celui de l’identité sociale. Avec la perruque blonde afro, l’homme blanc exprime ostensiblement son respect pour le peuple noir. Quant à Bernadette, elle adopte ce geste comme « l’Asiatique » (voir, dans le poème, Take Four Part) en se faisant une permanente « maison ». Deux non-identités s’effondrent en une seule identité qui n’est pas la même.
Et il y a un autre niveau. C’est le mode référentiel de la représentation-même. Il apparaît dans le texte sur le mur en miroir. Dans son illisibilité, ce n’est pas nous qu’il reflète mais nos fantasmes et nos désirs. Ici, ces distorsions ne sont pas transposées extérieurement en une bonne image ou un texte canonique ; les images mises en scène d’un texte en miroir ne font qu’indiquer l’insistance du problème, qu’il n’y a pas d’identité sans désir, et pas de désir sans des moments d’identification. Ici, le désir ne semble conçu ni comme un flux multidirectionnel ou non-représentationnel, ni comme une force constitutive illusoire et dénaturée. Comme un moment bizarre, il est plutôt localisé au cœur de la représentation elle-même.
Ainsi, la représentation dépend de ces moments réflexifs, ainsi que des horizons référentiels sur lesquels elle peut diriger le désir intrinsèque de se dépasser. Ces horizons référentiels couvrent les énormes distances qui séparent les stars de la culture pop des étoiles de l’univers ; ou bien le monde douillet d’un salon de coiffure des galaxies élevées constamment produites par l’imagerie que nous transmettent les télescopes spatiaux Hubble. Traverser ces espaces signifie connecter le fantasme privé et le spectacle public, les explosions de l’espace imaginaire et l’implosion médiatisée de n’importe quelle signification, ou bien une joie débordante, la joie de la transcendance, avec cette tristesse abyssale devant les contradictions inhérentes aux êtres immanents.
Par conséquent, l’empathie concerne le monstre qui est en nous.
Traduit de l’anglais par Michèle Veubret