Sur Proust au Musée Carnavalet, Paris
Marcel Proust, un roman parisien
Musée Carnavalet – Histoire de Paris
16 décembre 2021 – 10 avril 2022
Paris fourmille d’expos magnifiques. Ça n’a pas toujours été le cas, mais, maintenant, c’est comme ça. Quand Jules (je ne dis son nom que pour le plaisir du mot) m’a proposé d’aller voir, pour May, l’expo du 150ème anniversaire de la naissance de Proust, j’ai immédiatement accepté. J’aime Proust plus que tout. C’est mon préféré. J’ai fait de lui un spectacle créé aux Bouffes du Nord en février 2017, La Recherche. S’il n’y a qu’une chose que j’aimerais reprendre plus que les autres, c’est bien ce spectacle si luxueux – le luxe, c’est le don et la prodigalité –, qui, après m’avoir tant donné, me donne toujours, comme le retour éternel du plus beau rêve, l’infini plaisir d’être en contact avec l’illimitée délicatesse de l’œuvre infini. Le musée Carnavalet n’est que la version « maison de poupée » d’un musée à l’échelle 1 que serait Paris et, bien entendu, l’expo était à cette échelle (de poupée), kitsch et pleine d’un vide-grenier de reliques et de souvenirs (parmi lesquels néanmoins de très belles pièces comme l’un des chefs-d’œuvre de Monet, Le Pont de l’Europe, Gare Saint-Lazare qu’on trouve normalement au musée Marmottan, deux tirages sublimes de Jacques Henri Lartigue, des dessins de Picasso, un paravent de Pierre Bonnard, etc.). Une expo visitor-friendly, remarquais-je en y pénétrant, plus sur Paris que sur Proust, qui s’adressait d’avantage aux touristes à Paris (que nous sommes tous tous les jours) plutôt qu’aux lecteurs de Proust (que nous sommes plus en secret). Les lieux qu’il fréquentait, les restos, le développement du bois de Boulogne, les adresses imaginaires aussi du roman. Peu d’érudition (nous ne sommes pas à la BNF), mais une superficialité de rêverie, un brouillard d’évocations, peut-être un peu comme le nuage de poudre antiasthmatique (poudre Legras) dont Jean Cocteau, de façon hilarante, racontait qu’il emplissait l’appartement de Proust et sa chambre tapissée de liège épais (liège dont il y a, sur un mur, une relique noircie). Tout un Paris 1900, tout un fatras qui pourrait presque aussi servir pour Louis-Ferdinand Céline, l’autre écrivain encyclopédique. Des bouts d’images animées, aussi, très émouvantes (puisqu’elles montrent la mort). Quelques petites filles obèses avec des nœuds dans les cheveux jouent au jardin des Champs-Elysées. Une photo de Misia Edwards sur son yacht mouillé au pont Neuf. Des entretiens aussi – devant lesquels beaucoup s’aggloméraient – tirés du documentaire de 1962 qu’on trouve sur YouTube, Marcel Proust, Portrait Souvenir ; par exemple, devant celui de « Madame André Maurois » qui, ressemblant étonnamment à Jeanne Moreau, nous déclare qu’elle était le modèle de « Mademoiselle de Saint-Loup ». Marcel Proust qui ne la connaissait pas avait, un soir tard, une fois qu’elle avait treize ans, absolument voulu la voir et on l’avait fait lever et habillée. Elle était furieuse, mais « Marcel Proust était un homme au charme ensorcelant » (on la croit). Et il y a le manteau. La « p’lisse » dont parle Paul Morand (éludant le “e”) dans ce même documentaire, Portrait Souvenir, « avec un vieux col de loutre tout usé », dit-il, eh bien, cette pelisse est là, près des barreaux du lit, sublime et lourde, intacte avec tous ses boutons de Bakélite et, en effet, usée au col, usée depuis toujours donc, Paul Morand le dit, mitée peut-être, comme surprotégeant le sacre du corps évanoui. Quand j’avais donné mon spectacle aux Bouffes du Nord, un intervieweur radiophonique m’avait avoué, un peu penaud, avant une émission promotionnelle, n’avoir pas vu le spectacle mais qu’il allait faire comme si. La connaissance de ce mensonge m’ayant donné une certaine avance, j’inventais donc mon histoire quand, soudain, le journaliste, se basant sur une image, me dit avec un grand naturel : « Mais, dans le spectacle, vous ne vous êtes pas du tout habillé comme Proust ! » J’étais en effet dans une sorte de pyjama rouge Balenciaga trop petit avec des talons très hauts argentés (j’étais « queer », quoi, comme on dit maintenant). Aussitôt, je répliquai : « Ah, pardon ! certes ! mais j’arrive aussi sur scène vêtu du véritable manteau de Proust et, comme vous avez pu le constater, je ne le quitte que très peu au cours du spectacle ; il s’agit de la pelisse de Proust merveilleusement conservée au Musée Carnavalet qui me l’a très aimablement prêtée et que je remercie encore ici chaleureusement ». Quelque chose comme ça. C’était en direct. Il n’y a pas eu d’objection. Personne n’a osé dire que je mentais. À l’époque, je n’avais pas vu ce manteau mythique (que je n’ai découvert qu’aujourd’hui), mais des amis merveilleux que j’ai, Vincent Darré et Elie Top pour ne pas les nommer, m’en avaient prêté un assez similaire, je dois dire, superbe, très lourd, porte-bonheur, proustien en diable, ce sont eux que je dois remercier ici véritablement (en m’excusant aussi d’avoir gardé chez moi ce manteau fétiche, culte, car j’espère toujours que ce spectacle sublime sera repris un jour). Fin de l’anecdote. Curieusement je trouvais l’expo crowded à son début, à touche-touche et à ne-rien-voir, ce matin glacé du 22 décembre, et de moins en moins à mesure que je progressais, comme si la foule, dans une avancée macabre, s’était volatilisée entre deux salles ou, plus vraisemblablement, fatiguée de trop de détails, avait progressivement accéléré vers la sortie. Question : tout ce monde lisait-il Proust ? Pas sûr, me répondais-je. Personnellement, une expo sur Balzac que je n’ai, hélas, que peu lu m’intéresserait fort. Borges dit quelque part que, plus encore que l’œuvre, ce qu’un écrivain donne au monde, laisse derrière lui, c’est une image. Celle de Proust flotte dans l’air comme le plus beau de nos fantômes. Un fantôme qu’il figurait sans doute déjà de son vivant, tout occupé à l’écriture. « On avait l’impression d’un personnage du musée Grévin », dit Paul Morand dans le documentaire.