Une image que l’on puisse habiter
« Rappeler que culture, mot et concept, dérive de colere, qui veut dire en latin habiter, et que donc cultiver serait aussi habiter, demeurer, prendre soin, entretenir et au final préserver [1]. »
« La frontière évoque la relation. Elle dit que les peuples se sont rencontrés, quelquefois dans la violence, la haine, le mépris, et qu’en dépit de cela, ils ont enfanté du sens. Ma multi-appartenance est porteuse de sens. Elle rappelle, à ceux qui croient en la fixité des choses, des identités notamment, que non seulement la plante ne se réduit pas à ses racines, mais que ces dernières peuvent être rempotées, s’épanouir dans un nouveau sol[2]. »
Enquête sur le/notre dehors répond à une demande initiale invitant à outrepasser la stigmatisation d’un quartier, celui de Fontbarlettes dans la périphérie de la ville de Valence, tout en débordant cette initiative. Élaborée dans des constellations dialogiques changeantes, l’enquête s’est poursuivie durant cinq ans.
Initiée avec des habitant.e.s de Valence-le-Haut en Région Rhône-Alpes, accompagnée par de nombreuses personnes solidaires, la recherche poursuit l’idée de produire « une image de pensée collective du lieu que l’on habite ». Au travers de collaborations inventées au fil des rencontres, le film et le livre mettent à l’œuvre des processus d’émergence des paroles et des images qui sont d’emblée pris dans un travail transformateur : il ne s’agit pas de restituer une réalité donnée au préalable, mais bien de la faire advenir de façon collaborative. Les deux objets qui en résultent, à savoir un volumineux livre réunissant recherches et paroles[3] et un film homonyme, portent tous les deux une précision de date[4]. Cette indication assume la forme trouvée à un moment de la recherche, tout en rendant compte de son inachèvement constitutif qui pointe vers une ouverture, vers un hors-cadre, vers le dehors des images[5].
Le livre réserve un chapitre à chaque personne impliquée, transcrit fidèlement les paroles, chapitre les images selon cette structure et ne laisse entrevoir Alejandra Riera que dans les nombreuses et riches « notes de bas de page » qui s’étalent sur des pages entières. Quant au film, il fait surgir la pensée collective au travers d’un dense tissage narratif, conçu dans des allers-retours entre chaque participant.e et Alejandra Riera, et monté dans son ensemble par Marine Boulay en étroit dialogue avec l’artiste. L’ensemble du processus réserve une place considérable aux rencontres : le tournage commence au bout de deux ans d’échanges réguliers avec un groupe d’habitant.e.s du quartier qui se constituait au fil de rencontres. Outre les visites dans la ville et la région, des échanges et discussions, les participant.e.s visionnaient également des films proposés par Alejandra Riera, et dont certains s’avéraient cruciaux pour les inventions des scènes individuelles par la suite. Comme dans beaucoup des projets menés par Riera, la co-fabrication des récits est centrale. Averti.e.s par un atelier autour des enjeux du tournage et du montage, les participant.e.s ont pu se positionner en amont sur leurs modes d’apparition. Sauf de rares exceptions, les lieux de chaque partie ont été décidés en échange entre l’artiste et les habitant.e.s.
Ce que le film met en jeu est de trouver une forme qui refuse toute fixation de rôle dans laquelle les voix particulières ne servent que pour mieux s’insérer dans une typologie. Alejandra Riera constate à cet égard que « ce lieu que l’on habite dépasse largement les limitations non seulement de l’architecture des grands ensembles et des équipements du pouvoir qui les accompagnent, mais également celle du documentaire et des images qui font perdurer inlassablement le fantasme d’une zone malfamée où les habitant.e.s seraient destiné.e.s à se confondre indéfiniment à des blocs sans voix ni avenir, sans pensée ni capacité d’envol[6] ». Par-delà toute approche utilitariste, ce sont les usages, les rêves, les relations qui sont mis en avant. Il est question « des usages et des non-usages, de manières de faire avec la vie là où on est, de créer un laboratoire de formes fictionnelles, où ce que nous avions à raconter du monde et nous-mêmes, cesse d’être méprisé[7]… ».
Constatant que « l’on ne peut pas commander ce qui manque[8] », Enquête sur le/notre dehors se met à la recherche d’un langage visuel pour créer un espace de conversation qui ne repose ni sur l’assignation d’une identité, ni sur l’autorité d’une architecture. Celle-ci fait partie des éléments structurants préétablis qui représentent un défi pour le travail de la représentation : l’architecture des grands ensembles d’habitat social a été tellement représentée, souvent dans son aspect contraignant, qu’il est difficile d’échapper aux stéréotypes en les montrant[9]. Le film opte au contraire pour les pratiques et les sensibilités des habitant.e.s. Les stratégies visuelles employées subvertissent les confinements et fixations : les images, étant d’une structure complexe et multiforme, errent, refusent de reconduire les séparations qui définissent la géographie urbaine de la ville de Valence, construite en trois plateaux sur le Rhône, sans pour autant cesser d’interroger leur violence. Il s’agit dans le travail filmique de déjouer à tout moment la logique de la représentation attendue pour permettre l’émergence d’une image et parole dialogiques, relationnelles, ancrées dans les usages et les pratiques.
Double geste : se soustraire à la représentation figée et la dépasser
Enquête sur le/notre dehors se compose de multiples fragments, de bribes, d’images errantes constamment recadrées, de voix et de pratiques multiformes. Il propose une micro-politique des détails, en cherchant à passer au-dessous du radar de la gestion biopolitique des populations. Le montage fait coexister images et sons hétéroclites qui se commentent de façon complexe et discontinue. La bande-son, souvent coupée subitement, souligne davantage la simultanéité de singularités disparates et parfois dissonantes, produisant des tensions et des résonances surprenantes. Rares sont les vues frontales de visages dans le film. Encore moins fréquemment trouve-t-on des vues d’ensemble de la ville, privilégiant les extraits, les détails au panorama. Le film ne tend jamais vers une image exhaustive, prétendument complète d’un lieu, mais prône une image fragmentaire, une « vue partielle[10] ».
Le refus d’exhibition du quartier et le déplacement de l’attention et des procédés constituent donc le point de départ. Alors qu’aucune image d’un grand ensemble d’habitat social délabré à Fontbarlettes n’est contenue dans le film[11], le groupe des participant.e.s au tournage venant de la périphérie inverse le mouvement et se rend pour une visite nocturne au centre-ville de Valence. L’obscurité, bien plus que de plonger dans l’invisibilité, permet de révéler la valorisation des immeubles et places par les éclairages, la mise en scène du patrimoine architectural bourgeois : le bel étage, les façades sculptées, les lumières qui illuminent vers le haut et les palmiers importés pour embellir les places représentatives contrastent avec les grillages et dispositifs anti-SDF renforcés eux aussi par des éclairages. Ces derniers visent vers le bas pour faire obstacle à une installation dans une zone de mi-ombre, qui permettrait de se soustraire aux regards et de trouver un coin de repos. Face à cet emploi de la luminosité pour contrôler les modes d’usage de la ville et accentuer sa structuration classiste, la visite nocturne permet une déambulation presque secrète, protégée par l’opacité, comme si le regard critique du groupe circulait plus aisément en dehors des horaires officiels[12].
Eviter l’exposition frontale des visages et corps des participant.e.s au film, favorise leur présence dans le mouvement, par les gestes, les mains, les pieds, les corps en action ou des vues de semi profil. Ce choix fait penser au texte canonique de Gayatri Chakravorty Spivak qui montre que le cadrage stéréotypé des paroles subalternes les préfigure de sorte à ce que leurs propos deviennent inaudibles[13]. Ce n’est pas les représenter qui permet de les entendre. Au contraire, comme le pointe la critique d’art Jean Fisher, l’attente créée par les représentations stéréotypées ne permettrait pas au sujet racisé de s’exprimer sans devoir en même temps défaire le rôle attendu[14]. Pour qu’une image collective du lieu que l’on habite puisse surgir, le film affirme dans la suite de ces positions, qu’il est d’abord nécessaire de sortir de son conditionnement par un cadre préexistant.
Pour prendre un exemple particulièrement explicite de ces déplacements, on peut penser à la scène presque polémique dans laquelle on voit des vestiges de flammes dans le bitume, des traces d’une contestation par le feu, comparables à des cicatrices du goudron. Cette image est devenue un trope récurrent dans le langage médiatique concernant les quartiers périphériques pour pouvoir la reproduire. Dans le film, l’image de la voiture brûlée est au contraire brandie pour faire un pied de nez à l’art contemporain : pendant un bref moment apparaît une couverture de la revue Art press, montrant une œuvre de l’artiste français Pierre Ardouvin, une installation muséale comprenant une voiture brûlée[15]. Dans cette pièce, la destruction comme forme de protestation sociale est devenue œuvre, et en tant que telle facilement décontextualisée, pacifiée, contrôlée. Dans Enquête, l’image est modifiée par un effet couleur la rapprochant du pop art, laissant à peine deviner les contours des corps et objets. Ce déplacement permet dès lors de ne pas s’attarder sur ce qui saute aux yeux – mais de regarder là, où une attention patiente est nécessaire pour distinguer les détails. Bien que les couleurs criantes de cette image explosent de contrastes, elles correspondent tout de même au parti pris de favoriser les « nuances et les déclinaisons » qui constitueraient une société, et de ne pas juxtaposer des contrastes manichéens « de noir et de blanc ». Pendant que cette réflexion sur les couleurs se déroule au niveau du son, inspirée par les considérations d’Alain N. qui travaillait comme coloriste, la luminosité de l’image est progressivement augmentée jusqu’à la quasi disparition du trait dessiné par le fil électrique des lignes ferroviaires dans le ciel. Dans le blanc, dans l’excès de lumière (qui en français résonne avec les Lumières, la philosophie de la révolution bourgeoise, dont les principes ne sonnent plus aussi révolutionnaires aujourd’hui, comme le constate Rachid Z. à un autre moment du film), les nuances se perdent et on finit par ne plus rien voir. Subtilement, le film articule son scepticisme de la prétendue possibilité rationaliste de tout voir, et lui oppose le fragment, le composé, la « vue partielle ».
Cependant le film ne prétend pas de pouvoir faire disparaître le mépris social et ses avatars visuels par ses seuls moyens. Loin de donner une « bonne image » telle que le promettent les campagnes publicitaires initiées par de nombreuses villes en quête d’améliorer leur réputation, les images du film interrogent, et ne cessent d’exiger une constante mise en cause des représentations. Il ne s’agit pas de se retrouver dans une situation confortable : le film avance au contraire à petits pas sur la base de l’hypothèse que l’image soit capable d’interroger la souffrance sociale sans la reconduire. Il bouscule, active le regard en incitant à douter de ce qui semble bien connu, de ce qui apparaît en conséquence comme « naturel ». Dans une constante interpellation des images, en faisant usage de superpositions, de coupes abruptes et d’effets de postproduction, le montage introduit sans cesse des éléments d’irritation. Les images restent inquiètes, alertes et suspicieuses. Cette approche ne prend aucune image pour totale, mais renvoie à son hors champ, à ce qu’elle invisibilise, à ce qu’elle recouvre ou ce qu’elle tait. Elle produit son dehors, tout comme elle le pointe. Constamment pensive, elle émerge entre ce qu’elle rend apparent, et ce qu’elle ne montre pas. Riera parle de son procédé comme d’une « tension des images et des textes qui peut rendre visible le lieu du entre, celui qui n’appartient ni entièrement aux images ni entièrement au texte et qui libère ainsi ses possibles. C’est-à-dire que les vues partielles, quand la tentative réussie, peuvent citer ce qui n’est ni à l’image ni dans le texte mais qui est entre au sens aussi de par en bas, par-delà des images et des textes. Il s’agit d’une forme d’énergie qui les fait vibrer ou qui les bouscule au-delà, en biais de ce qui est représenté ou écrit ».
Dans une scène tournée à l’intérieur de la gare de Valence-Ville, l’image s’attarde sur les gestes habitués d’une employée d’entretien, une femme noire. Elle apparaît à l’image dès le début du film, au moment où l’un des habitants-narrateurs, Pierre P., évoque son arrivée et celle de bien d’autres migrant.e.s dans cette gare : « Nous savons d’où nous venons. Je pense qu’on peut dire aujourd’hui qu’on ne savait pas du tout où nous arrivions », dit-il au moment où la femme à l’image, vide une poubelle métallique à l’entrée de la gare. Pierre P. rappelle « la mémoire et l’oubli », l’effacement de la patine des gares, et leur aspect clinique, normé. Pendant ses paroles, la femme réapparaît à l’image en poursuivant son travail d’entretien devant les cabines photographiques automatiques qui affichent plusieurs fois le même visage lisse d’un modèle publicitaire – une femme blanche photoshopée – comme celui « à suivre » pour reproduire des photographies qui seraient acceptées dans les documents d’identité officiels. La violence normative de cette représentation d’un visage abstrait, capable de s’insérer partout, ressort par le décalage avec la réalité matérielle de la femme au travail. Toujours est-il que le film bouscule l’essentialisation de cette juxtaposition : ne s’arrêtant pas au constat, la postproduction transforme la scène dans son négatif, inverse ainsi les noirs et blancs, et produit un effet de distanciation, de dénaturalisation. A partir de cette brèche visuelle, la voix off raisonne sur les déplacements produits par le visionnage collectif de films lors du tournage. En opposition à ce qui serait une réalité sociale donnée, immuable, est ici proposée la coproduction d’une expérience sociale, à partir d’un travail pratique de traduction partagée.
Ce n’est pas pour autant que la stigmatisation disparait du film. Elle demeure présente dans l’image par la négative : si le point de départ est de chercher une image qui déjoue le mépris, qui sape le stéréotype, qui se soustrait à la stigmatisation, ces images de pensée[16], véhiculent de manière dialectique ce dont elles cherchent à se défaire. Enquête met en place une dialectique de la soustraction, qui contient la violence de la stigmatisation initiale, tout en la déplaçant, la détournant, la traduisant dans un autre registre.
Parmi les outils de l’irritation figurent les contrastes que le montage pousse à son comble. Une scène montre une fouille d’un groupe de passagers par la sécurité de la SNCF, sur un quai de la gare de Valence, filmée depuis le quai d’en face pendant le passage d’un train. Ce n’est seulement pendant les courts intervalles entre les voitures que la vue est dégagée sur le groupe, à peine perceptible. La Polonaise de Fréderic Chopin (op. 53), composition classique, associée à des intérieurs bourgeois plutôt qu’à des représailles de l’éxécutif, accompagne cette scène « classique » des contrôles policiers en gare. Le morceau est saccadé par les sons des roues sur les rails, par une boîte à musique cassée ainsi que par un fragment de chanson. Sans laisser l’autorité à l’image de la fouille, le rapprochement entre les mesures sécuritaires visant en premier lieu les classes populaires racisées avec la musique romantique véhicule une critique des connivences tacites des classes aisées qui ne s’exposent que rarement à l’exercice du pouvoir répressif.
Rester avec le trouble : l’inconfort de l’artiste
Dans l’élaboration du projet, Alejandra Riera négocie constamment sa démarche pour faire émerger une « image collective » et de filmer dans une dite « zone sensible ». Dans un territoire habitué à la surveillance policière, la présence d’une caméra n’est pas anodine. Une image est potentiellement une image de surveillance, une preuve en cas de persécution judiciaire[17]. En conséquence, la responsabilité de l’artiste est constamment abordée, en maintenant l’inconfort comme un trouble nécessaire[18]. Ainsi, l’une des deux voix narratrices féminines mentionne l’inscription murale suivante, rencontrée à Paris lors des repérages par un interlocuteur, artiste lui-même : « Mort à l’Artiste. Artiste = Flic », et confie qu’elle s’est épuisée dans la quête de déserter ce rôle : « Elle le savait, dit-elle, « une histoire du présent ne peut pas être une information. »
Le film met en garde contre le potentiel de captation des images et s’interroge sur des manières de filmer sans courir le risque d’enfermer, de figer et potentiellement de mettre en danger les personnes visibles à l’image. Il cherche à trouver la distance nécessaire au matériel filmé lors du montage, en ayant conscience que cela implique un pouvoir de taire ou de faire exister. Il soulève la question de ce qui donne une valeur au travail du film, alors que certain.e.s participant.e.s, lors du tournage, la questionnent.
Alejandra Riera construit sa stratégie entre son retrait partiel, une présence « molle » qui confère aux participant.e.s du tournage des décisions amples sur les scènes qui leurs sont dédiées, et une signature forte, notamment dans le montage. L’empreinte artistique, dans les formes et dans le fond, consiste justement dans la permanente recherche de déjouer les fixations et de refuser les clôtures, temporelles, identitaires et spatiales.
Une courte scène vers la fin du film condense bien son positionnement. Au bord d’un lac, sous un saule pleureur, Riera s’entretient en le filmant avec un homme qui pêche. Tout comme lui n’est pas montré dans sa situation professionnelle —agent de nettoyage de la ville et du quartier—, mais dans son activité de loisir, librement choisie ; elle choisit de ne pas donner suite à la question de la provenance de son accent, et préfère répondre par un simple « oui » à l’interrogation : « Vous êtes de passage ? ». Les images glissent concrètement à ce moment-là de l’eau vers un long moment de pause où seul le son du balancement du feuillage du saule pleureur par le Mistral se fait entendre. Il s’agit d’un geste récurrent dans la pratique de Riera, qui marque un refus d’assignation, fut-elle territoriale, raciale ou classiste, comme une opération nécessaire pour qu’une parole subjective puisse émerger.
Le théoricien Florent Perrier a décrit ce positionnement comme le « dessaisissement de l’artiste », une constante soustraction et remise en cause de sa présence, sans pour autant abandonner ses décisions de réalisation[19]. Pour poursuivre son idée, on peut décrire la démarche de Riera comme un double mouvement qui consiste à ne pas remplir sereinement la fonction professionnelle de l’artiste (au même titre que les autres personnages du film ne sont pas montrés dans l’exercice de leur métier), à la déjouer et compliquer constamment en réarticulant les lieux de l’énonciation, sans pour autant céder sur le sens pris par la recherche, sur la direction donnée au travail collectif, sur les lignes de fuite qu’ouvre le montage.
Dans un texte dédié à l’Enquête, Muriel Combes décrit la « lenteur comme méthode » du travail de Riera : ne rien forcer, se mettre à l’écoute, laisser advenir les situations, tout en maintenant une orientation induite par la recherche, suivant le désir de trouver ce qui dépasse l’attendu. Une position d’accueil dans un premier temps, qui implique un positionnement. Si le montage peut ramener l’individuel là où il peut faire écho au collectif, mais garder aussi sa particularité, c’est justement dû aux choix éditoriaux forts : les récits sont souvent traduits à la troisième personne et dits par des voix d’emprunts, les personnes deviennent personnages, et les terrains du commun qui surgissent sont le produit de dialogues. Riche en références cinématographiques, en citations littéraires, en polysémies imagées, le film mène un travail de traduction, dans le sens d’un constant mouvement porté par une envie d’un ailleurs encore à inventer, parfois peu accessible.
Produire des images et des situations de partage
Opposée à une sociologie supposément neutre, à une démarche encyclopédique qui classerait les récits des habitant.e.s, Enquête se mêle de son sujet, crée des situations, déplace des images pour qu’elles puissent se transformer dans chaque nouveau contexte de leur réception. Le tournage cherche à produire des situations qui transforment les pratiques. Ainsi, furent proposés par l’artiste des visionnages collectifs de films tels que Chronique d’un été d’Edgar Morin et de Jean Rouch (1961), Ici et Ailleurs de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville (1974), Les mains négatives de Marguerite Duras (1978), mais aussi un court peu connu, comme Le Film sans figure d’Habiba Zerarga[20]. Pour beaucoup des participant.e.s, les guerres des indépendances, et les migrations postcoloniales résonnent dans ces films. Il est important que ces références cinématographiques n’arrivent pas au moment du montage, en rajout à des scènes déjà fabriquées. Les films qui n’y « étaient pas attendues, ni forcément destinés[21] » furent au contraire visionnés et discutés collectivement dans un petit local à Fontbarlettes par les participant.e.s. Ces projections ne visaient pas à transférer le cinéma d’auteur engagé vers un public qui serait étranger à ces formes, mais cherche à transformer ces films en outils de travail pour l’Enquête en cours. Le film développe son langage à partir des rencontres, des apports des un.e.s et des autres, mais aussi des propositions d’Alejandra, et revendique de ne pas s’adapter aux attentes d’un présumé public. Film exigeant, référencé, réflexif, long et lent, il fait le pari de plutôt inviter à un déplacement que de présupposer les critères, goûts et habitudes d’un public. Il souligne que les formes, en changeant de contexte, soulèvent d’autres questions, comme celle de la timidité par laquelle Chronique d’un été aborde la Guerre d’Algérie dont il est contemporain ; comme celle de l’image des balayeurs donnée dans Les mains négatives, beaucoup problématisé lors du visionnage. Il est « impossible de résoudre tous les problèmes politiques dans un montage » déclare la voix off. En rendant présents les points aveugles de ces classiques du cinéma qui surgissent au moment des visionnages partagés, Enquête pose par un détour la question de son propre dehors.
Au-delà de l’interrogation théorique, les visionnages ont donné lieu à des relectures de scènes qui ont à leur tour nourries le film. L’une des habitant.e.s dans le film, Mme O. s’inspire alors d’une scène d’Ici et ailleurs que Godard et Miéville tournent en 1970 des scènes avec des militant.e.s armé.e.s de l’OLP en Palestine[22]. De retour en France, au montage, les cinéastes apprennent la mort d’un grand nombre des personnes qu’ils ont filmé.e.s. Une réflexion sur les conditions de la production des images remplace partiellement le sujet initial – la promotion de la libération palestinienne – et favorise d’aborder le hors-cadre. Entrent ainsi dans le champ de vue les manipulations de l’image pour invisibiliser ce qui n’est pas opportun au récit, les techniques permettant de taire les voix dissonantes.
Dans Enquête une scène entièrement pensée par l’une des participantes au projet, Amel O., fait amplement référence à Ici et ailleurs. Elle réinterprète la scène qui montre une famille ouvrière face au journal télévisé et inverse la disposition des personnes dans l’espace : on la voit de dos, assise dans son salon, ses deux enfants à ses côtés, au loin les images d’Ici et ailleurs sur un écran d’ordinateur. Décidant elle-même de sa représentation, elle montre son corps en semi profil, sa tête couverte d’un foulard, entre ses mains un texte qu’elle lit à voix haute. Faut-il qu’une cause soit victorieuse pour qu’elle soit juste, s’interroge-t-elle. Là où dans Ici et ailleurs le journal télévisé est montré comme producteur d’un rapport de consommation passif face aux guerres dans le monde, où la soumission à l’ordre dominant n’est pas produite par la rétention de l’information mais par l’impuissance, Mme O. se positionne au contraire de façon active ; elle regarde d’un œil critique le cinéma godardien, le commente et le fait sien, en s’appropriant ses dispositifs en les utilisant à ses propres fins.
La production des images est interrogée comme un élément de la division du travail à l’échelle de la société, qui confère des rôles souvent difficiles à dépasser aux un.e.s et aux autres : dans le film, le lent travail de l’écriture, passant par de nombreux moments d’effacement, est questionné par Mohamed B. qui met en cause le sens de faire un film et qui refuse son apparition à l’image. Si « travail » est égale à « contrainte », comme le formulent plusieurs personnes dans le film, pourquoi en rajouter ?
Enquête propose en réponse que le travail de l’image est essentiel pour les images du travail, pour ouvrir d’autres espaces de pensée, d’action et de transmission d’une mémoire non misérabiliste. Ainsi, entouré par les pièces colorées d’un puzzle en caoutchouc destiné aux enfants et constitué des représentations des organes du système digestif, une sorte de forme matérielle d’un corps-sans-organes qui fait résonner la scène avec les lignes de fuite ouvertes par Gilles Deleuze et Félix Guattari[23], Daniel A. se souvient des trente ans qu’il a travaillé dans un abattoir. De ce temps il garde des acouphènes, produit du stress et des niveaux sonores élevés. Les images du lieu d’abattage industriel apparaissent sous forme de petits diapositifs à peine lisibles, superposées les unes aux autres, comme s’il fallait les réduire pour qu’elles n’imposent pas leur violence trop crue. L’image ne tait pas cette réalité, mais la transpose vers un espace plus régit par le désir et la dignité que par la contrainte.
Dans un autre registre, le prix des images est questionné dans la référence au film Appel de Cécile Decugis[24], probablement le premier film réalisé en 1957 en Tunisie sur la situation des réfugiés de la guerre d’Algérie. A son retour en France, Decugis fut condamnée à cinq ans d’incarcération pour avoir loué un appartement à des militant.e.s du FLN, peine dont elle purge deux ans à la prison de la Petite Roquette à Paris. Monteuse sur les premiers courts métrages de Godard, elle a tourné avec René Vautier, Olga Poliakoff et François Truffaut mais reste aujourd’hui largement inconnue. Au moment où Godard finalisait Le petit soldat (1962), elle purgeait sa peine en prison[25]. Par le détour du Film sans figure de Habiba Zergara, Riera mentionne l’histoire de Decugis pour rappeler les nombreuses répressions et censures qui sont restées dans l’invisibilité. Aborder le cinéma depuis son dehors signifie ici de parler de ce qui ne devient pas visible à l’image, et ce que chaque image produit à son tour : il est « impossible de faire un montage sans une prise de distance avec les images enregistrées au moment même ». Si dans cette nécessaire distance réside l’espace où peut surgir le récit filmique, aussi fragmentaire qu’il soit, c’est aussi ici que se pose la question de l’appropriation des images, de la mise en avant d’un point de vue au détriment d’une autre.
Dans un constant mouvement dialectique émergent des propositions visuelles tendant vers une pratique performative de l’image. La vue du mur de la maison d’arrêt est indubitablement la scène emblématique à cet égard. La prison de Valence au moment du tournage, située au centre-ville et aujourd’hui remplacée par une immense bâtisse carcérale excentrée, destinée à regrouper plusieurs prisons de la région dans une seule machine répressive, la caméra se concentre d’abord sur les murs extérieurs, les portes condamnées, les ouvertures clôturées, les cartels mettant en garde contre toute prise de contact avec les incarceré.e.s. Au niveau sonore une voix relate que beaucoup des problèmes de santé des prisonniers reviennent au manque de soins, que l’emprisonnement génère des problèmes sociaux, notamment par des lacunes affectives. Puis, la caméra se rapproche davantage du mur cloisonnant et de sa verticalité infranchissable, jusqu’au point de provoquer un basculement de la perspective dans l’horizontalité, ouvrant progressivement sur un paysage structuré par les embranchements de plantes, de mousses, de petites plantes poussant sur la vieille pierre. Le ciel — point de fuite de l’image — devient horizon, ouverture, échappatoire. Dans les détails du regard rapproché s’ouvre une vue potentiellement libératoire, insoupçonnée au niveau du plan large à distance. L’image fabrique ici l’évasion : elle met en œuvre aussi bien la critique de l’imposition du mur carcéral que son dépassement visuel en proposant une direction alternative, celle des connexions rhizomiques, des branchements multiples, des petites plantes transformées en taillis incontrôlable.
S’il est question de devenir sujet de l’image et du récit, cela passe à travers les propositions des unes et des autres, qui composent, parfois discrètement, le tissu du film (comme cette référence aux quatre éléments faite par un habitant, qui enclenche l’intégration des éléments comme une dimension transversale du film). Plan emblématique à cet égard, le film se termine sur une balade virtuelle dans un plan de la ville de Valence, dans lequel le curseur se déplace sur l’écran de l’ordinateur et passe par les noms de rues, des places, des passages qui ont été empruntés tout au long du récit filmique. Les lignes se confondent avec les rails et les fils électriques, et les noms permettent de comprendre que la bande sonore est générée elle aussi par la ville : un grand nombre de rues dans le quartier de Fontbarlettes portant des noms de compositeurs classiques, on écoute à différents moments Schubert, Mozart, Beethoven, ou Ninon Vallin, chanteuse qui avait inspiré la dénomination d’une tour d’immeuble du quartier, démolie en 1984/1985[26]. A nouveau, aucune vue d’ensemble n’est donnée. Aussitôt que la référence à la carte géographique est faite, les pistes sont brouillées. Le plan de ville – outil de maîtrise par excellence – finit illisible dans un gribouillis de lignes rapidement dessinés sur les tracés droits des rues.
De la même façon, le film s’accroche aux détails pour y puiser les possibilités de résistances : à partir d’une plaque indiquant le nom de la place Élysée Reclus (géographe comme le précise l’inscription, anarchiste il faudrait rajouter) s’initie une lecture en off d’un extrait du texte Histoire d’un ruisseau. Reclus y relate la baignade d’un régiment de militaires, que l’auteur fasciné observe se transformer d’une unité disciplinée, uniforme, en une multiplicité de corps nus, bougeant dans tous les sens, libérés de la discipline que leur impose l’institution de l’armée. La plaque de la place Reclus frissonne par les ombres d’un arbre secoué légèrement par le vent : cette image est le dernier plan du film, évoquant le fait que les inscriptions urbaines, établies par la ville, peuvent elles aussi discrètement résister à la fixation d’un sens unique, ici l’indication de la profession de Reclus. A plusieurs reprises, des textes convoqués par des « citations sans guillemets » contribuent à une composition non-linéaire et stratifiée du récit filmique qui enrichit le présent et fait éclater l’unité topographique par une présence simultanée de multiples ailleurs et d’autres temporalités[27].
Le mouvement en images
Images en mouvement, Enquête sur le/notre dehors produit et regarde un monde en mouvement. Alors que tout dehors présuppose au premier abord un dedans, et donc une frontière et un sens du regard, le film ne fait que traverser ces délimitations. Il suggère que « le dehors » – ce qui est produit en tant que tel par les catégories des autorités politiques, mais aussi le hors champ de l’image – est un élément constitutif de ce qui devient visible. Le dehors est fragile, toujours menacé d’être abandonné à son sort. Mais il est aussi résistant, et l’éloignement du pouvoir le rend davantage persistant. Il participe par le mouvement dialectique de l’image et de ce qui en est absent à une configuration fugitive et dynamique, dans laquelle le dehors devient visible uniquement au moment où il se soustrait déjà. De fait, les choses dans Enquête sont tout le temps en train de se faire. Les images sont quasi exclusivement tournées avec une caméra sans pied, tenue souvent assez bas, pour viser les corps et les gestes.
Mais ce sont aussi les éléments qui composent la ville qui arrivent par le mouvement, qui viennent d’ailleurs : les palmiers de Chine sur les places du centre-ville ; le mot abricot francisé à partir de l’arabe ; les chants maloya hérités des esclavagisé.e.s à l’île de la Réunion ; un poème berbère du Rif marocain qui parle de l’histoire des luttes anticoloniales ainsi que l’absence de témoignages dans les manuels d’histoire sur l’un de leurs meneurs, Abdelkrim El-Khattabi ; le Rhône qui longe la ville et amène avec lui la menace constante des centrales nucléaires construites sur ses bords ; les rails, la gare, les fils électriques des voies ferroviaires qui sont des éléments récurrents dans le film. Dans tous ces aspects la ville (son centre et les quartiers périphériques) se compose d’éléments arrivés par importation. Intérieur et extérieur, ici et ailleurs s’avèrent constitués mutuellement, loin de toute idée de pureté ou de séparation constitutive entre groupes de populations ou pratiques culturelles minoritaires. Cela implique également que les arrivées ne se sont pas toujours faites de façon délibérée : dans de nombreuses histoires inscrites dans le film, la mise en contact remonte à la conquête coloniale, qui résonne douloureusement dans les migrations postcoloniales, dans les contraintes économiques et la mise à l’écart de pratiques culturelles. Violences exercées au loin, elles se prolongent dans les récits de vie devenus composantes du proche, se transforment, se réincarnent, se disent ou s’esquissent discrètement dans des détails ; des pratiques ou des objets.
Méfiance des gestions à grande échelle
Sans militantisme, le film ne dissimule pas son scepticisme par rapport aux structures de gestion à grande échelle, publics ou privées. Cela concerne les centrales électriques, notamment les technologies incontrôlables comme l’énergie nucléaire (un nombre élevé de ces centrales longe le fleuve Rhône et transforme la région en zone à haut risque de contamination nucléaire[28]) ; l’abattage industriel, soumise à la loi du profit ; les institutions répressives telles que les prisons.
Faisant partie d’un ensemble de scènes qui s’intéressent aux flux des eaux, dans des formes différentes, une scène dédiée à la gestion des eaux de la ville de Valence suit deux gestionnaires responsables à travers les locaux situés dans le quartier de Fontbarlettes. Ils expliquent le fonctionnement des machines, les connexions entre les tuyaux, les processus que traversent les eaux usées ou propres. Les deux cols blancs qui parlent en l’absence des ouvriers font mine de maîtriser sans faute les lieux, d’être experts, de remplir parfaitement leur tâche. Ils sont parmi les très rares intervenants du film à parler dans leur rôle professionnel. Contrairement à quasi toutes les autres scènes qui déjouent la frontalité pour se concentrer sur les profils, les gestes et les interactions, les visages des responsables sont montrés frontalement. Pour souligner le caractère technique de leurs prises de parole, leur voix leur est enlevée, les rendant des locuteurs muets. Les informations factuelles dont ils se font les porte-paroles sont restituées par l’entremise de cartons noirs, empruntés au cinéma muet. La décision cinématographique de couper les voix traduit de façon drastique la qualité fonctionnelle de leur prise de parole, muant leurs visages en masques.
Toutefois, alors que leurs subjectivités ne se traduisent pas dans leurs discours, leurs mains témoignent d’un rapport affectif et charnel quand elles se posent sur les tuyaux, appuient sur les boutons, ouvrent une porte[29]. Elles débordent la fonction que les deux hommes représentent ; elles révèlent par leurs gestes une identification vive, qui apporte une nuance à la simple idée de la domination
par les machines qui pourrait renvoyer aux luddistes, briseurs de machines au XIXe siècle[30]. De fait, la façon de filmer les machines fait penser aux cinémas muets du début du XXe siècle, à des films tels que Metropolis ou les Temps modernes, dans lesquelles les villes asservissent les humains pour les soumettre à leurs nécessités mécaniques. Cette allusion n’est pas fortuite car l’organisation du travail et les périodes successives de soumission des travailleuses et travailleurs aux rythmes imposés par les machines développées rapidement avec l’industrialisation progressive fait partie des thématiques transversales du film. Ici, les flux d’eaux deviennent acteur à part entière, alors que les personnes qui les gèrent se contentent à occuper une fonction. En parallèle, l’aspiration de contrôler les moyens de production, la critique de l’aliénation dans le processus de travail, et la question de la place du travail artistique dans la division sociale du travail surgit dans des nombreuses scènes.
Ne s’arrêtant point à la gestion publique des eaux usées, le film aborde l’élément comme un ensemble hétérogène. Il s’applique à aller avec les habitant.e.s voir les différentes facettes de la gestion des eaux (allant de l’usine de dépollution de Mauboule, l’usine de traitement des eaux usées, jusqu’à l’extraction, les forages d’eau, la contention et la redirection, le barrage pour empêcher les crus), mais se penche aussi sur des formes alternatives de son usage et localisation. J’y reviendrai.
De façon plus large, le film s’interroge sur les projets de modernisation : en modifiant pour mieux l’interroger une expression fixe – démarche critique fréquente dans les textes de Karl Marx et les films de Jean-Luc Godard – la voix off constate que « c’est la technologie qui est le problème et non pas ses applications, mais qu’il n’y a pas de technologie sans ses applications ». L’expropriation du contrôle sur les infrastructures collectives ferait donc déjà partie du problème. On peut ici penser à la critique de Frantz Fanon qui postulait face à l’argument colonial d’une propulsion forcée de la modernité par la construction d’infrastructures que si la construction d’un pont ou d’un puits ne venait pas d’un groupe de façon endogène, il serait préférable de ne pas lui imposer une technologie qui le mettrait dans une situation de dépendance[31]. Face à l’idée de la modernisation comme un modèle universellement applicable à toute société et situation, il favorise les dynamiques portées par un apprentissage partagé, considérant que toute technologie doit être encadrée par une société capable de la prendre en charge si elle ne veut pas se retrouver endommagée par ses effets non maîtrisés.
Alors que la visée du film n’est pas de se positionner politiquement sur des modes de gestion, mais plutôt de poursuivre une compréhension collective des enjeux des infrastructures pour leurs usagères et usagers, un certain techno-scepticisme est présent. Le film ne bascule pas pour autant dans l’antimodernisme, mais demeure dans une zone d’interrogation et de trouble. Il oblige à ne jamais perdre de vue les coûts humains de la modernisation : les lignes ferroviaires qui structurent Valence, ville de passage, traversée par des fils électriques, ont pendant leur construction couté la vie à de nombreux travailleurs ; tout comme l’invisibilité souterraine des eaux usées pour une bonne partie des Valentinois.es implique pour d’autres de travailler silencieusement dans les égouts. Si la richesse culturelle, sociale et naturelle dont Enquête dresse le portrait se doit aux déplacements et se fait souvent en marge des grandes transformations infrastructurelles et productives, le film rappelle que les dégâts humains et plus largement naturels, le dehors invisibilisé fait constitutivement partie des acquis technologiques, qui sont inséparables de la « vie mutilée[32] » dans ses fondements.
Par les interstices
En contrepoids aux gestes de refus et de critique, l’enquête s’engage dans une volonté propositionnelle forte. En alternative aux constructions modernistes de la ville nouvelle, à l’administration de la vie, à la planification urbaine, aux grandes infrastructures et la production en usine, le film propose de se laisser porter par les savoirs minoritaires des habitant.e.s, de s’intéresser aux inventions culturelles s’opérant sur les terrains mouvants de l’extension rapide des zones périurbaines, de se rendre réceptif à l’ailleurs dans l’ici. L’Enquête prône délibérément les espaces interstitielles et micro-politiques, propulse les pratiques secrètes ou opaques, et les relations de proximité, aussi bien dans les manières de mener sa vie que dans la production des images : constamment en mouvement, souvent tenue au niveau de la poitrine, empêchant une vue d’en haut, la caméra cherche les fissures qui permettent d’ouvrir des espaces en apparence fermés. Dans le carrelage de la gare, les pieds des passants pressés et les roulettes des valises laissent des traces et souillures derrière eux. Entre les dalles de la cité poussent les herbes folles. Il n’y a pas une maison, espace qu’on pense fermé, mais dont on finit par se rendre compte qu’elle est ouverte de tout part, qui ne serait habitée par des plantes, des animaux et des visiteurs. On peut penser à Emmanuel Levinas, qui parle du rôle clef joué par la maison dans l’articulation de l’intérieur et de l’extérieur : « Le rôle privilégié de la maison ne consiste pas à être la fin de l’activité humaine, mais à en être la condition. […] Simultanément dehors et dedans, [l’humain] va au dehors à partir d’une intimité. D’autre part cette intimité s’ouvre dans une maison, laquelle se situe dans ce dehors[33]. » Aussi hostiles que les architectures environnantes puissent être, et que les fixations classistes et racistes puissent bétonner les rôles sociaux, dans la perspective proposée par Enquête, les espaces sont constitués par les zones de frottements et les pratiques.
Le film ne se contente pas d’un constat de l’existant, mais s’emploie à provoquer des déplacements, des ouvertures, des irritations et interrogations. Tout se nourrit de ce qui est là, mais ne devient pas forcément visible si on n’y prête pas attention. Enquêter veut en ce sens dire produire, provoquer ; aller à la recherche n’est pas un mouvement vers ce qui serait déjà là, de façon passive, attendant de se « faire découvrir[34] » mais ce qui peut surgir par le regard intéressé et attentif, et ce qui va se produire dans les rencontres que ce cheminement fera éclore – un sujet en devenir. Ce travail du sensible fait penser à la conception de Jacques Rancière qui explique : « Ce qu’une intervention artistique peut produire, ce en quoi elle peut être politique, c’est une modification du visible, des manières de le percevoir et de le dire, de le ressentir comme tolérable ou intolérable. […] C’est bien ainsi que j’entends la politique de l’art : comme la construction de paysages sensibles et la formation de modes du voir qui déconstruisent le consensus et forgent à la fois des possibles et des capacités nouveaux[35]. »
Enquête oppose à la gestion de la vie dans les villes modernes les savoirs minoritaires, non-reconnus officiellement, les pratiques interdites par la loi, des savoir-faire ancestraux, les techniques réputées ésotériques. La scène dédiée à Eliane et Michèle B., deux dames installées dans les alentours de Valence, où la ligne du TGV et les préfabriqués des zones commerciales grignotent progressivement le terrain, en parle par le biais de la thématique de l’eau. A l’aide d’un substitut de savon à base de plantes, sans l’emploi de détergents industriels, ni d’eau courante, les deux dames lavent dans des seaux et en plein air les cheveux de deux invitées (parmi lesquelles Alejandra Riera). Les eaux usées sont par la suite remises aux poules qui picorent dans le champ.
Proche de cette idée, une autre scène est dédiée à la sourcière Annie R.. Cette ardéchoise maîtrise des méthodes pour localiser une source. La caméra la suit en la filmant au niveau du ventre, suivant ses pas dans l’herbe. Sa pratique est montrée en toute simplicité, et présentée ici en alternative à la productivité capitaliste[36] ainsi qu’au système de la gestion des eaux par la ville (qui apparait comme un système masculin et aliénant). La transmission de connaissances enfouies semble promettre des espaces d’autonomie où des ressources tels que des espèces de plantes cultivables redeviennent accessibles au-delà des circuits commercialisés. Il s’agit de « vivifier ce qui a été bétonné », comme le formulent Xavier H. et Myriam F. des jardins partagés de Fontbarlettes.
Le montage suit cette quête qui réserve une place importante à des acteurs et actrices autres que humains. Il se laisse mener pendant des séquences entières par les poules muées en leitmotif : on passe de l’abattage industriel à l’élevage artisanal en plein air ; de scènes de cohabitation avec des oiseaux comme animaux de compagnie – chéris par les enfants – qui partagent tranquillement les espaces avec les humains à une scène d’abattage domestique dans un appartement de Fontbarlettes, témoignant d’une transmission intergénérationnelle et féminine. Les gestes calmes des deux femmes y encadrent une mise à mort tranquille, sans résistance de la poule. Ces images d’une pratique restreinte en France à l’abattage de petits animaux à usage privée contrastent fortement avec le récit sanguin que fait Daniel A. du quotidien dans l’abattoir, marqué par des animaux en panique, qui se débattent, éparpillant leurs entrailles partout et recouvrant de sang les travailleurs usés, stressés par la machine de la mise à mort industrielle qu’ils doivent alimenter à un rythme imposé.
Alors que Daniel A. énonce son dégout pour son travail dans l’abattoir, et développe qu’il ne voit une alternative que dans une économie à petite échelle, qui laisserait l’autonomie de l’abattage aux petits producteurs et productrices, il se montre tout aussi préoccupé par la mécanisation, qui renvoie les travailleurs et travailleuses au chômage. Sans que le film en tire une conclusion militante, ce constat pointe tout de même l’incapacité du système concurrentiel capitaliste à fournir des perspectives viables pour un travail non-aliénant. Par le biais des récits des unes et des autres, le film cherche une économie alternative, favorise les rapports de proximité à la production industrielle, et promeut les gestes singuliers des individus plutôt que la gestion des grands ensembles.
Informé notamment par les socialistes précoces du XIXe siècle, tels que Charles Fourier, le film pose la question de la propriété de la terre et des moyens de production, qui obstrue des usages partagés. Juste après une scène qui montre trois visiteurs nocturnes poser leurs regards sceptiques sur la centrale électrique de Valence, une fonction infrastructurelle importante et donc une concentration du pouvoir considérable, une voix off fait le récit des passages de l’Utopie de Thomas More qui retracent la mise en place des enclosures. Par ces délimitations introduites au XVe siècle, les terres communes furent transformées en champs privés, enlevant en conséquence les ressources nécessaires aux populations désormais exclues d’en jouir. En privant les paysan.ne.s de leurs terres, en transformant le commun en privé, furent introduites les conditions nécessaires pour ce qui allait devenir le travail salarié[37]. Des révoltes surgissaient alors pour assurer de survenir aux besoins, d’assouvir à la faim. Comme l’ont rappelé ces dernières décennies de nombreuses études qui soulignent le lien entre écologie, féminisme et anticapitalisme[38], la chasse aux sorcières, femmes détentrices de savoirs liés à la reproduction et la fertilité de la terre, et mettant pour cela en danger la mise en place du nouveau système d’exploitation, s’inscrit dans ce contexte.
Dans le film, l’insistance sur l’appropriation des connaissances expropriées ou oubliées au travers de siècles de production capitaliste en constante expansion oriente le regard vers les réacquisitions des capacités d’autogestion et de culture. Toujours est-il que les exemples mis en avant ne sont pas exempts d’un certain romantisme de la production à petite échelle. Plutôt que d’indiquer un modèle alternatif généralisable, les pratiques montrées permettent de comprendre que les séparations des ménages de leurs ressources, les enfermements dans des unités de vie bétonnées, n’ont jamais été hermétiques. Elles s’avèrent traversées de tout part par des savoir-faire, des mémoires, des plantes et des animaux amenés de terres lointaines ou de temps anciens et ne pas prévus dans ces endroits. Présences qui permettent de comprendre que l’ici est fait en intime échange avec l’ailleurs, qu’aucun dedans ne saurait exister sans un dehors, et que les délimitations entre ces espaces sont bien moins rigides qu’elles puissent paraître. C’est en ce sens qu’Enquête sur le/notre dehors, porté par un désir de décloisonnement, produit des images qui appellent aux ouvertures et passerelles en les performant.
- [1] Extrait du film-document Enquête sur le/notre dehors à la date du 15 juillet 2012. L’extrait cité se réfère en réécrivant librement un passage de de Hannah Arendt. ↩
- [2] Léonora Miano, Habiter la frontière, Paris, L’Arche, 2012. ↩
- [3] En 2007, un groupe d’habitant.e.s du quartier Fontbarlettes avec l’association Le Mat Drôme (agriculture urbaine) contactent Valérie Cudel, médiatrice agréée de l’action Nouveaux commanditaires de la Fondation de France. « Souhaitant révéler les manières dont les habitant.e.s se sont approprié.e.s cet espace en mutation constante », ils rédigent ensemble une demande, et font appel à Alejandra Riera qui répond en élargissant aussi bien le groupe d’habitant.e.s convié.e.s que les enjeux du départ. ↩
- [4] A savoir, « à la date du 15 juillet 2012 » pour le film et « à la date du 24 avril 2012 » pour le livre, édité par le centre d’art art 3 à Valence et Captures Editions. ↩
- [5] Les textes de Muriel Combes (« La hantise des images » dont des extraits furent publiés sous le titre « Images that Haunt Us » dans Afterall, Été 2014, Vol. 36, p. 31-39) et Florent Perrier (« Déssaisissement de l’artiste engagée. En réserve d’Alejandra Riera », Recherches en esthétique, 2014, no 19, pp. 101-109) proposent des riches interprétations largement ancrées dans les pages du livre. Bien que les deux formes, livre et film, renvoient étroitement l’une à l’autre, le présent texte se propose de partir essentiellement du film. ↩
- [6] Enquête sur le/notre dehors (Valence-le-Haut) < 2007 – … > à la date du 24 avril 2012, une image de pensée du lieu qu’on habite, menée avec des habitant/es du quartier de Fontbarlettes, Valence, Captures édition/art3, 2012, p. 7. ↩
- [7] Alejandra Riera, présentation du film. ↩
- [8] Sauf indication contraire, les citations proviennent du film. ↩
- [9] Cf. au sujet du quartier de Fontbarlettes le travail de la photographe Monique Derigibus Tour de l’Europe, Valence le Haut, mars-juillet, 1996 est largement commenté dans les matériaux de l’enquête (voir pages 34-35 et la planche-image page 263) comme un travail photographique d’importance, le premier que Riera rencontre et un des rares sur le quartier. Derigibus résiste à la manière dont on a longuement fait des images des architectures et bâtiments HLM, « l’image » des personnes qu’y habitent. Elle présente une série de portraits de bâtiments, mais les sépare systématiquement des habitant.e.s, montré.e.s sous forme de portraits dans la seconde partie du livre. ↩
- [10] Au départ le concept des « vues partielles » est proposé par Alejandra Riera pour évoquer ses images-textes (photographies et légendes) : « C’est une manière de porter l’attention entre images et textes et de produire des écarts. Il y a des hors champs dans des vues partielles. Aller au-delà des images serait se rapprocher de ce à quoi elles pourraient ou auraient pu faire place, pour le libérer. Ces vues-visions singulières tissent sans nouer. Font place aux écarts. Elles ont une temporalité lente. Il n’y a pas de prétention de représenter, mais cela se présente. Les vues partielles sont à la fois décentrées d’elles-mêmes au sens qu’elles sortent d’elles-mêmes suggérant des cohabitations et des liens, des relations avec des dehors, et à la fois et par cette même raison, elles n’émergent qu’ en tant que parties, fragments impliquant leur mélange au monde, leur imbrication dans le/les mondes et non un état séparé du, en dehors. Les vues partielles sont des tentatives de faire dialoguer, d’entrer en relation. » ↩
- [11] Le livre cite à ce propos le travail photographique de Monique Deregibus qui évoque les vues aériennes du quartier (pp. 34-35). La construction des logements est racontée dans l’échange avec Luc Fontaine, voir particulièrement les notes 65-76 ainsi que les planches images 203-283. ↩
- [12] Ces scènes me font beaucoup penser à la visite de Berlin des trois jeunes antifascistes, héros du roman Esthétique de la résistance de Peter Weiss (1971-1980). Ils interprètent les façades des immeubles bourgeois et reconnaissent dans les figures mythiques qui portent les balcons et les porches les travailleurs d’autres époques qui les ont construits et dont l’effort se prolonge dans le poids que doivent porter ces sculptures à jamais. Alors qu’elles ont été ajoutées aux façades pour mettre en va-leur la richesse des maîtres, leur présence permet aux regardeurs critiques des décennies plus tard d’y trouver une accroche pour y inscrire leur propre histoire – une esthétique de la résistance. ↩
- [13] Gayatri C. Spivak, Les Subalternes peuvent-elles parler ?, traduit par Jérôme Vidal, Paris, Editions Amsterdam, 2006. ↩
- [14] Jean Fisher, « Where I am Visible, I Cannot Speak. Cross-Cultural Practices and Multiculturalism », in Inclusion/Exclusion, Graz, Dumont, 1996. ↩
- [15] Pierre Ardouvin, Holidays, 1999, voiture brûlée, pont tournant, canons à lumière, globes lumineux, bande sonore, 160 × 900 × 1200 cm, Collection MAC/VAL, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. ↩
- [16] Walter Benjamin, Images de pensée, trad. de l’allemand par Jean-François Poirier et Jean Lacoste, Paris, Christian Bourgois, 2011. ↩
- [17] Voir entre autres Allan Sekula, « Le corps et l’archive », in Écrits sur la photographie, Paris, Beaux-arts de Paris éditions, 2013, pp. 221-297 ; ainsi que le catalogue de l’exposition Fichés ? Photographie et identification du Second Empire aux années 60, Archives nationales, 27 septembre-26 décembre 2011. ↩
- [18] La théoricienne féministe Donna Haraway invite à « rester avec le trouble », à l’endroit où il n’y a pas de réponses simples à trouver, où les certitudes sont bousculées. Cf. Donna Haraway, Staying with the Trouble: Making Kin in the Chthulucene, Durham University Press, 2016. ↩
- [19] Perrier, op. cit. ↩
- [20] Ce dernier a été réalisé comme film de fin d’études à l’école d’art et design de Valence. France, vidéo, muet, noir et blanc, 5 min 19 s, 2008. Voir les notes 32-35 du livre. ↩
- [21] Extrait du film. ↩
- [22] Film cité à travers le texte « Avertissement » de Serge Daney, p. 113 du livre, dans l’échange avec Amel O. ↩
- [23] Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie, Paris, Éditions de Minuit, 1972. ↩
- [24] Cécile Decugis, Appel. Les réfugiés algériens en Tunisie, France-Algérie, noir et blanc, 16 mm, 22 min, 1956-1957 [avec Hedi Ben Khelifa]. Voir aussi notes 32-35 de l’Enquête sur le/notre dehors. ↩
- [25] Voir p. 33 du livre. ↩
- [26] Voir pp. 18, 41, 52, 65, 66, 67, 201, 267, 281, Enquête sur le/notre dehors. ↩
- [27] On y trouve des citations extraites de : Robert Musil, L’Homme sans qualités, 1930 ; Guy Debord, In girum imus nocte et consumimur igni, in Œuvres cinématographiques complètes, 1952-1978 ; E. E. Cummings, « deuxième inconférence », in Je, six inconférences, 1953 ; Thomas More, L’Utopie, 1516 ; Hannah Arendt, La Crise de la culture, 1961 ; Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, 1955 ; Alejandra Riera, maquettes-sans-qualité, < 1995 – … >. Textes lus : Amel Osman à propos d’Ici et ailleurs ; Zian, poème berbère sur Mohamed ben Abdelkrim El Khattabi, anonyme, lu par Badr El Hammami ; Élisée Reclus, « Le bain », chapitre XIII in Histoire d’un ruisseau, 1869 lu par Hafida Kada. ↩
- [28] La région présente un risque élevé de contamination nucléaire. Les centrales nucléaires qui encerclent Valence sont citées dans le livre (p. 12, Cruas, site de Tricastin ; pp. 23 et 146 à propos de CERN ; p. 157 image et légende : [25 janvier 1961, Sahara, essai nucléaire français près de Reggan dans le sud de l’Algérie] ; et planches images et légendes pp. 172, 183 et 263, 185 et 265, 217 et 297 sur un train Castor, transportant des déchets nucléaires ; 237 et 317 ; 245 et 325 à propos de Fukushima. ↩
- [29] Rappelant les analyses de l’« Expression des mains » dans le film homonyme de Harun Farocki Der Ausdruck der Hände,1997. ↩
- [30] Dans la lutte contre cette domination, les machines devaient être détruites. Edward P. Thompson, La Formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1988. ↩
- [31] Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Paris, La Découverte, [1961] 2002. ↩
- [32] Pour reprendre une idée de Theodor W. Adorno, Minima Moralia. Réflexions sur la vie mutilée, trad. Eliane Kaufholz et Jean-René Ladmiral, Paris, Payot, 1980. ↩
- [33] Emmanuel Levinas, Totalité et Infini, La Haye, Njihoff Publishers, 1968, pp. 125-126. ↩
- [34] Cf. la critique d’une conception objectiviste de la connaissance que Michel Foucault formule ainsi : « L’objet n’attend pas dans les limbes l’ordre qui va le libérer et lui permettre de s’incarner dans une visible et bavarde objectivité ; il ne se préexiste pas à lui-même, retenu par quelque obstacle aux bords premiers de la lumière. Il existe sous les conditions positives d’un faisceau complexe de rapports. » Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 61. ↩
- [35] Jacques Rancière, Et tant pis pour les gens fatigués. Entretiens, Paris, Éditions Amsterdam, 2009, p. 591. ↩
- [36] Voir à cet égard Silvia Federici, Caliban and the Witch. Women, the Body and Primitive Accumulation, New York, Autonomedia, 2004. ↩
- [37] Cf. Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2015. ↩
- [38] Voir aussi les écrits de Starhawk, Rêver l’obscur – Femmes, magie et politique, Paris, Cambourakis, 2015, récemment traduits en français et qui revient sur les revendications éco-féministes des années 1970 et 1980 aux Etats-Unis ainsi que les textes d’Emilie Hache, notamment Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une écologie pragmatique, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2011. ↩